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analogon
16 juin 2008

Megalopolis

MEGALOPOLIS


La plaine gît écrasée, soumise sous son poids.
Agia la puissante, construite par des rois
Dévore l'espace, avalant ciel et terre;
Sa masse humiliante effraie même l'enfer.
Nulle place forte, aucune autre cité
Ne peut rivaliser, encore moins lutter.
Face à l'immonde ogresse, elles demandent l'aman
Ployant leurs sikharas, elles honorent leur thane.

Les murs plongent des airs, broient l'horizon limé
L'ellipse circonscrit son extérieur fermé.
L'enceinte écrasante absorbe toute lumière
Elle n'offre nulle part de faiblesse guerrière.
Au sein de la muraille émerge une ouverture;
Col entre deux sommets, la porte la plus dure
Jamais forgée ici enferme ce qui entre
Rien ne peut s'échapper, prisonnier de son ventre.

Les battants noirs monstrueux se joignent sans un bruit.
Gormenghast centuplé, la ville éteint la nuit.
Partout le béton, l'acier qui composent son corps
Explosent, encombrent, occupent, abhorrent
Le vide et remplissent les essarts citadins;
Le moindre monument y paraît anodin.
Les tours fières s'élèvent aux faîtes des nuages
Illuminées parfois de l'ire des orages.

Les flèches s'élancent, les parois escaladent
Mille immeubles dressés, perchés aux balustrades.
Relié par des arches, ne formant qu'un seul dôme,
Le lacis des terrasses inerve les atriums.
Des étages partent des ponts qui s'entrecroisent,
Les ogives des nefs soutiennent les ardoises
De cent basiliques aux vitraux mordorés,
Myriades de transepts battus par le borée.

Aux pieds des colosses s'enfoncent dans leur chair
Des escaliers sans fin, tombant partout des airs.
Au fil des ans la ville a conquis les abysses
Poussant ses racines qui sans arrêt s'immiscent.
Creusant, taillant le roc, les couloirs s'enchevêtrent
Labyrinthes enterrés où l'obscur est le maître.
Entre les cavernes les traboules s'enchaînent
Au fond des ténèbres parcourus par la peine.

Car ce pays des tréfonds appartient aux Proscrits
Oubliés de la surface, entachés de mépris,
Ces pauvres ilotes damnés hantent les latomies,
Ergastule maudit perdu dans l'anomie.
Leurs pauvres mains algides appellent les sportules,
Les estomacs vides des pauvres homoncules
Clament les stigmates d'une faim piaculaire
Hurlant leurs souffrances d'un cri vernaculaire.

Certains sont nés ainsi, semences rudérales
Sans espoir de sentir la douceur vespérale
D'un sommeil reposant, Sisyphes désignés,
Voués au fatum létal, Prométhées résignés.
D'autres ont été jetés par la mer de lavure
Echoués, encalminés sur cet îlot de Suburre.
Griffant les bords du puits, ils voudraient remonter
Mais seule une poignée en a la volonté.

Loin, très loin au-dessus, sous la lune gibbeuse
Les Soumis se pressent sur l'agora houleuse,
Marée de Panurge, plèbe oeuvrant sans passion
Agrandissant toujours l'infâme construction.
Ils vaquent à leurs tâches, rétribués d'une obole
Juste suffisante pour quelques joies frivoles.
Satisfaits de leur sort, sous la pluie lénifiante,
Ils se laissent porter vers la mort vivifiante.

Parfois ils s'enflamment, aspirent à l'ambroisie
Brisant les mégalithes, cherchant la parousie.
Ils se lancent à l'assaut des loggias palatiales
Ils pensent mettre à bas le logos des galgals.
Les herses s'ouvrent alors, les lansquenets jaillissent
Stipendiés pour jeter du haut du précipice
Les révoltés vaincus au pied des cariatides,
D'où coule une eau garance à l'effluve fétide.

Cachés dans la foule, ignorés du pouvoir,
Les Scaldes parcourent les sentes de l'espoir
Lapsi ou renégats, cherchant l'inférence
Du satori pour sauver leur conscience.
Contre les mercanti, les éparques nobiliaires,
Ils luttent en silence, édifiant des laraires
Pour offrir au démiurge des vers de liberté
Volant vers l'empyrée, témoins de leur fierté.

Leurs chants gagnent les voûtes, prières immarcescibles
Leur sang marque les routes, rivières incoercibles.
Devenus pérégrins, parias dans leurs maisons,
Evitant les syrtes, ils fuient la fanaison.
Au creux de leurs songes, l'alcyon s'est endormi
Couvant l'oeuf à venir des lendemains promis,
Où les chaînes brisées fleuriront d'endymions
Tandis que les hommes iront sans répression.

Dominant les à-pic, occupant chaque cîme,
Voici les Avides, imposant leur régime.
Maîtres du royaume, hautaine oligarchie,
Poursuivant le profit et chassant l'anarchie.
Leurs palais polystyles étouffent le discret,
Litée outrancière où l'or n'est pas secret.
Le somptueux s'habille pompeux de vénusté
Dont le blanc marmoréen oublie la vétusté.

Cette ploutocratie se compose d'ascètes
Grapillant chaque sou, amassant les piécettes
Ou de sybarites, goûtant tous les plaisirs
Ils s'enivrent, abusent de leurs moindres désirs
Saignant les modestes, s'abreuvant du labeur
Des bras meurtris d'en bas qui oeuvrent en douleur
Sans égards pour tous ceux qui ont nourri l'essence
De cette profusion mêlée à l'indécence.

Nulle aube sur ce monde, aucun répit offert.
Déployant leurs ailes, les Stryges ouvrent leurs serres.
Leur ronde commence, sans un bruit elles s'abattent
Inscrivant le destin sur les chairs écarlates.
Proscrits et Avides, Scaldes et Soumis mêlés,
Les mortels sont les proies de ces démons ailés.
Agia mégalopole, entité inhumaine
Continue sa croissance, à jamais notre reine.

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